C’est très rare que je fais un billet sur les natifs du numérique. Et encore plus sur les entreprises qui perdent leurs capacités d’innovation et de compétitivité.
Et ce, parce qu’elles font face à une pénurie de main d’oeuvre mais aussi à une perte de mémoire. Un double jab, quoi!
Dans toutes mes conférences, j’essaie de faire comprendre ces deux enjeux du marketing RH en me servant justement des «natifs». Et j’ai du succès parce que je n’en suis pas un… Je suis un immigrant du numérique, un Baby Boomer qui devrait être à la retraite… Ce qui fait qu’avec ma barbe poivre et sel, on a tendance à me prendre au sérieux dans les hautes sphères du pouvoir 1.0. Je leur parle de nouvelle hiérarchie, de collaboration, d’innovation, de responsabilité corporative, du devoir de mémoire.
En début de conférence, j’aime bien faire un quizz afin de bien camper le fossé générationnel. En effet, rares sont ceux et celles qui lèvent la main plus de cinq fois quand je leur demande :
Vous avez fait le décompte ? Ça va relativement bien pour Facebook, Twitter et LinkedIn mais ça se gâte pour les autres. La moyenne des immigrants est de 3 sur 10 alors que pour les natifs du numérique c’est 8 sur 10. Le médian entre la génération Y et la X est à 5 sur 10. Je me demande à quel point il faut se méfier des catégorisations sociologiques de ce genre. Je suis un immigrant du numérique et pourtant, je me comporte comme un natif, anachronisme ???
Comme certains, (trop peu de ma génération) je maîtrise toutes les nouvelles technologies du numérique (j’ai 9/10) et m’en fais souvent le promoteur. Je décode le Serious Gaming, l’infonuagique, les univers virtuels, les LifeLogs et l’intelligence artificielle alors que je devrais songer à la retraite en lisant mon journal ou regarder à la télé, les reportages sur les accros aux jeux vidéo et pester contre les jeunes.
La relève de la garde
Je présente ensuite le tableau ci-dessous qui est largement inspiré par René Barsalo et Marc Prensky et qui fait forte impression. Ils voient clairement que les «natifs», soit les Y, la NetGen et la Virtual Gen vont entrer à pleines portes dans les entreprises et vont entrer avec des usages technologiques très différents et déstabilisants pour elles.
Mais ce qui est surtout parlant dans ce tableau, c’est que dans les cinq années suivantes, soit jusqu’en 2023, on a expérimenté une relève de la garde massive dans les entreprises. Ici au Québec, 45% de la force de travail était éligible à la retraite. Les Baby Boomers ont quitté et les X ont pu enfin profiter du pouvoir qui leur a si longtemps échappé mais pas pour longtemps.
Surtout s’il ne savent pas s’adapter aux nouveaux usages des générations suivantes et surtout s’adapter à un nouveau style de gestion qui n’est pas basé sur la hiérarchie verticale. Une tempête parfaite se lève. : une pénurie de main d’oeuvre causée par un nombre moindre de candidats au travail et une «mouvance» des candidats dont les usages ne sont pas bien satisfaits.
Et avant de quitter le pouvoir pour la retraite, les dirigeants des entreprises ont un autre grand défi devant eux : ils ont un devoir corporatif de mémoire. Ils se doivent de léguer aux autres générations une entreprise qui est en pleine maîtrise de son expertise, donc qui n’a pas perdu la mémoire.
Des entreprises Alzheimer
Et cela passe nécessairement par ce que j’écrivais plus tôt : une nouvelle hiérarchie transversale, nommée «Wirearchy» par un de nos collaborateurs chez ExoB2B, Jon Husband, Par la collaboration, l’innovation, une responsabilité de legs corporatif et un devoir de mémoire. Ce faisant, les entreprises pourront ensuite avoir une stratégie de captation et de rétention des talents. Bref, une stratégie de marketing RH.
Pourtant c’est n’est pas ce qui se passe actuellement: il y a ce mouvement de départ à la retraite mais les entreprises ne font rien pour retenir l’expertise et ne font rien pour effectuer le transfert intergénérationnel. Au contraire… Qu’arrive-t-il quand un employé part à la retraite?
On lui fait un beau «party» de départ, on lui donne un cadeau et hop ! Bonne chance pour la suite… Pendant ce temps au bureau, on vide ses tiroirs des dossiers qui s’en vont soit aux archives, soit à la récupération. De plus, le type de l’informatique vient nettoyer le disque dur de l’ordi pour le prochain occupant. Adieu la mémoire, adieu l’expertise de plus de 20 ou 30 ans.
Alors, d’où viendra le changement de paradigme? Qui réussira à aplatir ou horizontaliser la hiérarchie? À faire de la collaboration un usage commun plutôt qu’une utopie? Qui mettra en place la stratégie et les outils de marketing RH et de mémoire pour l’entreprise?
Il faut que ce soient les hauts dirigeants avant qu’ils prennent eux-mêmes leur retraite. Ils ont, je le répète, un devoir de legs corporatif. De transmettre à leurs successeurs, une entreprise saine d’expertise et de mémoire. On pourrait aussi appeler cela de la saine gouvernance et non une entreprise devenue Alzheimer!
Et qui de mieux pour les aider dans cette tâche que les retraités? Eh oui, encore les Boomers du tableau ci-dessus. Et pourquoi cette aide? Ils ne sont pas bien à la retraite sous les palmiers de la Floride? Il y a plusieurs facteurs de réponse.
De un, le fait qu’il n’y aura pas assez de natifs pour suffire à la demande d’emploi. Il faut trouver des moyens de faire revenir les têtes blanches sur le marché du travail ou de les retenir plus longtemps. Déjà certains pays dont la France se sont penchés sur le problème de l’âge de la retraite.
De deux, le fait que ces mêmes têtes blanches ne veulent pas arrêter de travailler, parce qu’elles veulent toujours faire part d’un réseau actif et d’autre part parce qu’elles ont besoin de revenus d’appoint et qu’elles peuvent maintenant le faire sans perdre leur liberté de retraité.
Dans une des «slides» de ma conférence sur le mémoire d’entreprise, je montre que 62% des entreprises embauchent des retraités comme consultants. Des consultants qui reviennent à temps partiel… Ou encore ces derniers le font à distance et s’inscrivent sur des plates-formes de partage d’expertise payantes telles qu’Innnocentive.
Comment pérenniser l’expertise et fidéliser le relève?
Certaines entreprises comme IBM ont vite compris que ces plates-formes seraient d’une grande valeur. En effet, quelle entreprise peut se payer le luxe de voir ses retraités vendre leur expertise à la concurrence? Chez IBM, on a favorisé la création d’une plate-forme de partage créée par les retraités eux-mêmes.
Bien beau tout cela mais il y a un os… Les jeunes sont plus mobiles qu’avant, ne valorisent guère le «culture d’entreprise», donc ne restent pas aussi longtemps qu’avant. Ils passent de cinq à dix ans, des fois moins pour ensuite aller voir ailleurs, compléter leur expérience ou simplement changer d’air. Comment alors pérenniser l’expertise? Les méthodes de mentorat à la Fluor (image ci-dessous) ne fonctionnent plus.
C’est là qu’entreront en jeu les carnets de vie. Mais cela c’est un autre billet… Pour le moment, voyons dix étapes et outils technologiques inhérents à la transformation numérique, la rétention de l’expertise et de la mémoire :
1.Bâtir les savoirs : wikis
2.Communiquer les savoirs : blogues, balados et micro-blogues
3.Structurer les savoirs : fils RSS, mini-portails et outils du curation
4.Connecter les savoirs : réseaux socio-professionnels
5.Trouver les savoirs : «tagging», données liées, et recherche sémantique
6.Innover avec les savoirs : idéagoras
7.Récupérer les savoirs : pair à pair (PtoP) avec les retraités
8.Gérer les savoirs : infonuagique et entrepôts de données
9.Documenter les savoirs : carnets de vie ou «lifeLogs»
10.Transmettre les savoirs : PtoP et vLearning
Chaque étape de la transformation numérique a ses outils et certaines sont plus faciles à mettre en place. Le cumulatif de toutes permet la rétention de l’expertise et l’attraction et la fidélisation des nouveaux talents. Ce faisant, les entreprises pourront alors mettre en place de vraies stratégies de marketing RH et attirer le talent, l’expertise et l’innovation.
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